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Nicole Temmerman ------------ ArtistePlurielle

  • Introduction

    Diverses techniques d’art plastique sont ici représentées :

     

    - le dessin (crayon, encre, pastel gras, monotype)

    - la peinture (encre sur papier ou toile, huile sur toile, huile sur calque, aquarelle sur papier)

    - la technique mixte (collage, encre et acrylique sur papier ou toile)

    - la terre cuite émaillée ou peinte

    - la taille directe

    - la composition en pierres

    - l'objet insolite créé

    Elles sont réparties en sept albums.

     

    Les Littéraires auront, en outre, la possibilité de lire ci-dessous quelques uns de mes textes et si cette mise en bouche leur est agréable, ils pourront, en prenant contact direct avec moi, accéder à l'ensemble du cahier constitué d'une centaine de textes courts.

     

     

  • Un faux-monnayeur en herbe

     

     

    Il s’est hissé sur la pointe des pieds. Les bonbons sont tout près. Derrière la devanture cependant. Colorés, de toutes les formes. Il a envie de tous les goûter.

    Il les dévore des yeux.

    Une dame entre. Le marchand plonge sa pelle dans les bocaux que la femme désigne du doigt. Il remplit un sac.

    Jean salive.

    La dame dépose des petits objets argentés sur le comptoir. L’homme lui tend le sac.

    Un feu d’artifice étincelle dans la tête de Jean. Il se précipite à la ferme. C’est tout à côté. Il connaît le chemin par cœur. Il vient tous les jours, plusieurs fois par jour même. Sa mère est très occupée.

    Jean trouve dans la cuisine un joli papier argenté.

    Sous le cerisier, il y a de petits objets ronds que les pies ont laissés. Il en prend une poignée et enveloppe soigneusement chacun d’un petit bout de papier brillant. Il en a plein. Il serre consciencieusement son butin dans sa petite paume.

    Il entre dans la boutique, monte haut sur ses orteils, dépose les jolis sésames sur le comptoir et articule de toutes les forces de son jeune apprentissage : « bonbons ! »

    L’homme regarde la tête de l’enfant. Tous ses traits sont illuminés par l’attente. Ses yeux sont pleins d’espoir. L’homme revoit son premier Noël.

    Son regard se brouille.

     

    L’enfant ressort, un gros paquet multicolore contre son ventre.

    L’homme le retient et lui glisse quelques pièces dans sa main :

    « Ta monnaie, mon p’tit gars ! » …

  • Fernand

     

    Fernand

     

     

     

    C’était l’heure d’y aller. Fernand prit son berêt, le neuf de son mariage. Il était toujours neuf, depuis le temps. Il l’avait économisé. Il se planta devant le miroir. Il s’agissait de lui faire honneur, à la mère. Il l’avait choisi sombre, son berêt. Prévoyant, il l’avait toujours été. Et puis, à quoi bon changer la couleur, le gris, ça va avec tout. Il aimait bien le vert, mais ça, ça ne faisait pas de profit. Et la mère, il en était sûr, le gris, ça lui conviendrait. Des fois qu’elle le verrait encore. Il ne savait pas, alors comme il était prévoyant, il valait mieux prévoir de ne pas choquer. Le Dieu, il existait peut-être et la mère, elle existait peut-être aussi à côté de lui. Peut-être pas tout à côté, ce n’était pas une sainte, quand même ! Quoique, finalement, il n’en savait rien. Elle était peut-être tout à côté. Les derniers arrivés, ils étaient peut-être choyés un peu au début. Présentés, en quelque sorte. Oui, il le voyait bien comme ça : une présentation. On n’arrive pas chez quelqu’un sans se présenter. Alors, la mère, elle devait être là, tout près du Dieu.

    Bon, le berêt gris, il ne fallait pas trop le pencher sur l’oreille, ça ferait mauvais genre. Ce serait déplacé. Droit. Bien droit. Dans la continuité de lui, de son buste. Bien droit.

    Il savait. On lui avait dit qu’il se tenait toujours bien droit. Il s’était demandé si ça ne voulait pas dire  « trop ». Il s’était demandé, juste un peu. Ça lui avait effleuré l’esprit seulement. Pas longtemps, comme toutes les choses pas agréables qu’il avait pû entendre. Ça glissait vite.

    Un jour, au café de la poste, un homme, un étranger, un gars de la ville avait laissé un magazine. Il l’avait récupéré. Discrètement. Il l’avait toujours. Question de prévoyance encore. Il avait fait ce qu’ils appellent un test. C’est comme ça qu’il avait découvert le mot. « Narcissique ». Ils en inventent quand même des trucs maintenant ! Sur le coup, ça n’lui avait trop rien dit, et puis en allant voir le maire, il avait consulté un dictionnaire. Que des conneries, il avait conclu. N’empêche que depuis, ça le travaillait de temps en temps. Ça le travaillait un peu. Pas trop, ni pour l’empêcher d’aller aux vaches tous les matins et tous les soirs, ni pour monter sa femme une fois la semaine, le samedi. La régularité le gênait bien un peu mais c’était quand même mieux que rien du tout, et la Marie, s’il l’avait laissé faire, ça aurait été « rien du tout ». Alors, il avait accepté « le compromis » comme elle disait. C’est qu’elle avait du vocabulaire, la Marie ! Lui, il avait les vaches. Ce n’était pas rien quand même ! Cinq vaches ! Ce n'est pas le vocabulaire qui remplit la marmite ! Il avait hésité. Il y avait aussi la Claudine à l’époque. La fille des Reverchon. Ils avaient une sacrée boutique, ceux-là. Ils en brassaient des casseroles, des poêles, des ustensiles en tout genre. Sûr que c’était un bon parti, la Claudine. Seulement, plus moche, c’était dur à trouver. Elle avait un pif comme un roseau. Y avait aussi comme une odeur rance toujours autour d’elle et puis, enfin, elle louchait. Ça, c’était dur. Il ne savait jamais où regarder quand il lui parlait. Du coup, il baissait toujours les yeux. Il fixait le bout de ses chaussures à en attraper mal au cou.

    Il avait hésité, vraiment. Trop. Un jour, la Marie, elle avait épousé le Gaston. Il avait été en classe avec lui. Il le connaissait bien. C’était pas un courageux, le Gaston ! Pour sûr qu’il s’était mieux vu à la caisse que dans la ferme de son père, celui-là !

    C’était comme ça.

    Faut savoir décider quand il faut. Il l’avait appris là.

    Du coup, la Marie, il l’avait pas laissée passer.

    Elle n’avait pas été aussi docile qu’il l’avait imaginé. Dès le lendemain des noces, elle lui avait parlé du fameux « compromis ». Il s’était bien fâché. Il avait même cassé une chaise. En retour, elle n’avait pas fait la lessive de tout un mois. La lessive, il s’en fichait. Il n’était pas trop regardant sur la propreté. Il avait deux chemises, ça allait bien : quand l’une était mouillée de sueur, l’autre avait eu le temps de sécher.

    Non, ce qui l’avait plus embêté, c’étaient les papiers. Y avait toutes sortes de paperasse qui arrivaient. Il n’y comprenait pas grand chose. Un jour, sa pension n’était plus arrivée, question de papier qui n’avait pas été rempli quand il fallait. Il s’était encore fâché. Il avait fait gaffe cette fois à ne pas casser une chaise. On a beau la recoller, ça tient jamais comme avant. La Marie, elle, elle avait tenu bon. Ah, c’est qu’elle en a, du caractère ! Finalement, il avait accepté : samedi. Le reste du temps, il se débrouillait tout seul, près des vaches, là où il avait caché le magazine « Têtu ». Il suffisait qu’il l’ouvre et il bandait. Ça l’avait bien étonné au début vu que c’étaient que des hommes dedans mais il ne s’était pas trop attardé là dessus non plus. Il n’était pas homme à s’attarder sur les choses dérangeantes. En fait, il était plutôt d’une nature optimiste. Il prenait les choses bonnes comme elles venaient sans se torturer les méninges. Pas comme le George. Ça ne lui avait pas réussi, à celui-là ! Que je me torture pour un oui, que je me torture pour un non. Il s’en était déclenché un cancer des méninges, une tumeur au cerveau, qu’on avait dit.

    Lui, s’il devait avoir une tumeur, sûr que ce s’rait pas là qu’elle serait !

    Bon, il allait falloir y aller.

    La mère, elle aurait bien pu mourir un autre jour ! Un samedi, quand même ! …

     

     

  • Les Croissants

     

    Les Croissants

     

    La fillette le voit. Elle détourne la tête. Vivement.

    Mais il y a toujours quelqu'un pour crier : « Clo, y a ton père ! Il t’appelle ! »

    L’enfant, à contre cœur, se dirige vers la grille. Elle ne sourit pas.

    Il ne s’en rend pas compte. Lui, sourit. Il est heureux. Le droit de visite est dans dix jours. C’est toujours un peu de temps, en plus. Volé à personne. Il rit presque.

    Il se tient aux barreaux.

    Pour ne pas tomber.

    Clo s'approche. Pas trop près.

    Elle reconnaît son odeur. Elle la connaît bien. Elle en a chaque fois la nausée. Elle recule.

    Ils sont seuls, face à face, dans un tête à tête qui n’a ni queue ni tête.

    Autour, les enfants courent en tout sens et crient.

    Clo a envie de crier. Elle se tait. Elle a honte. Elle baisse la tête. Elle pense qu’on l’observe. Elle sait qu’on l’observe.

    Lui insiste :

    « Viens ! Plus près ! Tiens, prends ! deux beaux croissants ! »

    Elle dit vite merci et repart. Vite. De loin, en coin, elle le voit s’éloigner.

    Il titube.

    Il a disparu.

    Maintenant, c’est l’Autre. Elle guettait. Clo en était sûre.

    La grande s’approche et lui vole le paquet.

    Ce jour-là, Clo se rebiffe : «  quand je serai grande, je me vengerai ! »

     

    Clo a grandi. Un jour, elle retrouve l’Autre : Soignante, à l’hôpital.
     « Pourquoi ?  Pourquoi ? »

    L’Autre baisse la tête. C’est elle qui a honte cette fois.

    Elle dit d’une voix à peine audible : « Je crois que j’avais faim » …

     

     

  • L'Homme du Bourg

     

     

    L’homme du bourg

     

    L’homme relève la tête.

    Chaque matin.

    Surtout, relever lentement.

    Concentrer le regard sur le menton.

    Le plus bas possible, le regard.

    Réduire le champ de vision.

    Concentrer l’attention sur le menton, le bas des joues, le dessus des lèvres.

    Juste là où il faut raser.

    Il y a des matins difficiles.

    Difficile, ce matin.

    Le regard s’échappe. Trop tard. L’image est renvoyée.

    L’homme n’échappe pas à l’image ce matin-là.

    Oh, pas longtemps. Il se reprend. Vite, il redescend. Les yeux pourtant n’ont pas oublié. La rétine garde l’image. Foutue rétine. Foutus souvenirs. Foutue image. Comment l’effacer de la tête, celle-là ?

    Comment effacer carrément la tête ?

    Insupportable, la tête.

    Cela fait pourtant des années qu’il supporte l’insupportable.

    Avant, il a été heureux. Maintenant, il n’arrive pas à oublier. La première image consciente, celle que l’on voit vraiment de soi. Celle qui permet de se mesurer aux autres, de se comparer. Celle qui surgit, qui vous saute aux yeux, quand vous n’avez rien demandé, celle qui vous inflige sa vérité, celle qui vous afflige de sa vérité, celle qui reste gravée, celle qui ne part plus, l’image éternelle dans une vie. Pourvu qu’on n’ait plus la même gueule dans la vie éternelle après ! Ce n’est pas possible, ça ne peut pas exister, la vie éternelle ! C’est une torture quand rien ne peut s’arrêter ! Cela donne le vertige, la vie éternelle. On n’a pas envie de mourir mais on a encore moins envie que ça ne s’arrête plus !

    On a envie de devenir amnésique. On a envie de gommer, de tout gommer, de recommencer à zéro. On se réveille le matin. On pense que Dieu a pu faire un miracle. On pense qu’il doit le faire, qu’il doit réparer. Il s’est trompé, il était mal luné ce jour-là, juste une petite faiblesse. Il doit pouvoir rattraper cela. On y croit ferme. On va se réveiller guéri.

    Et le matin, rien n’a changé.

    La tête est toujours la même. Il va falloir se la fader, encore et encore.

    Le père et la mère, ils auraient pu s’abstenir. Quand on est moche comme ça, on ne fait pas de marmot. On ne lui inflige pas cela.

    L’homme, lui, il ne l’a pas infligé. Il se l’est gardé pour lui tout seul. Il se l’est caché pour lui tout seul.

    Cela fait soixante-cinq ans moins quatorze qu’il se le cache pour lui tout seul.

    L’image, elle l’a démoli, il avait quatorze ans. Le René, à côté, il en pinçait pour Fernande lui aussi. L’image, c’est le René qui lui a balancé en pleine figure. « T’es moche, t’es même plus que moche : T’es à vomir. La Fernande, elle est pour moi ! T’as aucune chance, t’entends, aucune ! Non, mais regarde-toi !»

    Alors, il avait regardé. Vraiment. Pour la première fois.

    Puis il était allé vomir. Il avait eu raison, le René, en disant qu’il était à vomir …