Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Fernand

 

Fernand

 

 

 

C’était l’heure d’y aller. Fernand prit son berêt, le neuf de son mariage. Il était toujours neuf, depuis le temps. Il l’avait économisé. Il se planta devant le miroir. Il s’agissait de lui faire honneur, à la mère. Il l’avait choisi sombre, son berêt. Prévoyant, il l’avait toujours été. Et puis, à quoi bon changer la couleur, le gris, ça va avec tout. Il aimait bien le vert, mais ça, ça ne faisait pas de profit. Et la mère, il en était sûr, le gris, ça lui conviendrait. Des fois qu’elle le verrait encore. Il ne savait pas, alors comme il était prévoyant, il valait mieux prévoir de ne pas choquer. Le Dieu, il existait peut-être et la mère, elle existait peut-être aussi à côté de lui. Peut-être pas tout à côté, ce n’était pas une sainte, quand même ! Quoique, finalement, il n’en savait rien. Elle était peut-être tout à côté. Les derniers arrivés, ils étaient peut-être choyés un peu au début. Présentés, en quelque sorte. Oui, il le voyait bien comme ça : une présentation. On n’arrive pas chez quelqu’un sans se présenter. Alors, la mère, elle devait être là, tout près du Dieu.

Bon, le berêt gris, il ne fallait pas trop le pencher sur l’oreille, ça ferait mauvais genre. Ce serait déplacé. Droit. Bien droit. Dans la continuité de lui, de son buste. Bien droit.

Il savait. On lui avait dit qu’il se tenait toujours bien droit. Il s’était demandé si ça ne voulait pas dire  « trop ». Il s’était demandé, juste un peu. Ça lui avait effleuré l’esprit seulement. Pas longtemps, comme toutes les choses pas agréables qu’il avait pû entendre. Ça glissait vite.

Un jour, au café de la poste, un homme, un étranger, un gars de la ville avait laissé un magazine. Il l’avait récupéré. Discrètement. Il l’avait toujours. Question de prévoyance encore. Il avait fait ce qu’ils appellent un test. C’est comme ça qu’il avait découvert le mot. « Narcissique ». Ils en inventent quand même des trucs maintenant ! Sur le coup, ça n’lui avait trop rien dit, et puis en allant voir le maire, il avait consulté un dictionnaire. Que des conneries, il avait conclu. N’empêche que depuis, ça le travaillait de temps en temps. Ça le travaillait un peu. Pas trop, ni pour l’empêcher d’aller aux vaches tous les matins et tous les soirs, ni pour monter sa femme une fois la semaine, le samedi. La régularité le gênait bien un peu mais c’était quand même mieux que rien du tout, et la Marie, s’il l’avait laissé faire, ça aurait été « rien du tout ». Alors, il avait accepté « le compromis » comme elle disait. C’est qu’elle avait du vocabulaire, la Marie ! Lui, il avait les vaches. Ce n’était pas rien quand même ! Cinq vaches ! Ce n'est pas le vocabulaire qui remplit la marmite ! Il avait hésité. Il y avait aussi la Claudine à l’époque. La fille des Reverchon. Ils avaient une sacrée boutique, ceux-là. Ils en brassaient des casseroles, des poêles, des ustensiles en tout genre. Sûr que c’était un bon parti, la Claudine. Seulement, plus moche, c’était dur à trouver. Elle avait un pif comme un roseau. Y avait aussi comme une odeur rance toujours autour d’elle et puis, enfin, elle louchait. Ça, c’était dur. Il ne savait jamais où regarder quand il lui parlait. Du coup, il baissait toujours les yeux. Il fixait le bout de ses chaussures à en attraper mal au cou.

Il avait hésité, vraiment. Trop. Un jour, la Marie, elle avait épousé le Gaston. Il avait été en classe avec lui. Il le connaissait bien. C’était pas un courageux, le Gaston ! Pour sûr qu’il s’était mieux vu à la caisse que dans la ferme de son père, celui-là !

C’était comme ça.

Faut savoir décider quand il faut. Il l’avait appris là.

Du coup, la Marie, il l’avait pas laissée passer.

Elle n’avait pas été aussi docile qu’il l’avait imaginé. Dès le lendemain des noces, elle lui avait parlé du fameux « compromis ». Il s’était bien fâché. Il avait même cassé une chaise. En retour, elle n’avait pas fait la lessive de tout un mois. La lessive, il s’en fichait. Il n’était pas trop regardant sur la propreté. Il avait deux chemises, ça allait bien : quand l’une était mouillée de sueur, l’autre avait eu le temps de sécher.

Non, ce qui l’avait plus embêté, c’étaient les papiers. Y avait toutes sortes de paperasse qui arrivaient. Il n’y comprenait pas grand chose. Un jour, sa pension n’était plus arrivée, question de papier qui n’avait pas été rempli quand il fallait. Il s’était encore fâché. Il avait fait gaffe cette fois à ne pas casser une chaise. On a beau la recoller, ça tient jamais comme avant. La Marie, elle, elle avait tenu bon. Ah, c’est qu’elle en a, du caractère ! Finalement, il avait accepté : samedi. Le reste du temps, il se débrouillait tout seul, près des vaches, là où il avait caché le magazine « Têtu ». Il suffisait qu’il l’ouvre et il bandait. Ça l’avait bien étonné au début vu que c’étaient que des hommes dedans mais il ne s’était pas trop attardé là dessus non plus. Il n’était pas homme à s’attarder sur les choses dérangeantes. En fait, il était plutôt d’une nature optimiste. Il prenait les choses bonnes comme elles venaient sans se torturer les méninges. Pas comme le George. Ça ne lui avait pas réussi, à celui-là ! Que je me torture pour un oui, que je me torture pour un non. Il s’en était déclenché un cancer des méninges, une tumeur au cerveau, qu’on avait dit.

Lui, s’il devait avoir une tumeur, sûr que ce s’rait pas là qu’elle serait !

Bon, il allait falloir y aller.

La mère, elle aurait bien pu mourir un autre jour ! Un samedi, quand même ! …

 

 

Commentaires

  • J'ai bien aimé "Fernand". Le style haché mais puissant traduit parfaitement le personnage, que l'on sent fruste et vigoureux. Voilà un beau texte.

Les commentaires sont fermés.